Etre Sans-abri et avoir un chien à Rennes

Un après-midi de mars, nous marchions avec une amie dans le centre-ville. Craquant pour les chiens, nous avions l’habitude de leur sourire lorsque nous en croisions un. C’est peut-être pour cette raison qu’un propriétaire d’une malinoise à qui nous souriions nous a arrêtées.

Il nous a demandé si nous avions une pièce, pas pour manger mais pour soigner sa chienne qui avait une conjonctivite. Il nous l’a montrée, elle avait effectivement l’œil rouge et coulant. C’était clairement une conjonctivite. N’ayant pas de monnaie, je lui tends un billet de vingt. Je voulais quand même faire un geste, il était très gentil et sa chienne avait vraiment l’œil en mauvais état. Il n’a pas pris le billet que je lui tendais tout de suite. Il m’a demandé, très étonné : « T’es sûre ? ». Je l’étais.

On a parlé avec lui, parce que bien sûr j’adore les chiens et qu’ils sont toujours un moyen extraordinaire de rapprocher les gens. Tous les propriétaires le confirmeront, ils nous permettent d’engager la conversation avec des gens à qui on n’aurait pas pensé parler.

Nous parlerons de lui en disant « il » parce que notre conversation s’est terminée sans que nous ayons l’occasion de lui demander son nom. Pourtant, mon amie a demandé le nom de sa chienne : Laïka, je crois.

Il a raconté avoir essayé de laver les yeux de sa chienne avec du coton et du sérum physiologique et qu’il veillait à bien se laver les mains avant. Il nous les montre. Elles étaient blanches comme si elles avaient été recouvertes de talc. Nous savions l’eau rennaise calcaire chez nous, mais pas à ce point. Comment font les sans-abris qui doivent passer par les toilettes publiques la plupart du temps pour des besoins d’hygiène…

Gamelle pleine, une solution de secours

En continuant sur la question de la conjonctivite, et pour être déjà passés par là, nous essayons de le rassurer et de lui donner des conseils. Il avait l’air très inquiet. C’est vrai que c’est toujours impressionnant de voir nos animaux comme ça. C’est d’autant plus difficile quand on est sans ressources financières : Avoir peur de ne pas pouvoir prévoir les soins ou le transport vers une clinique. A ce sujet je lui ai demandé s’il connait des vétérinaires bénévoles. Il me parle de Gamelles pleines, une association à Rennes et dans d’autres villes que je ne connaissais pas. Une vétérinaire qu’il connait là-bas et qui passe de temps en temps avait pu voir la chienne deux jours avant. S’il y a une urgence vétérinaire, sachant que les urgences vétérinaires sont à Chantepie (à l’entrée de Rennes) : « Comment je fais-moi ? je garde mon chien dans les bras jusqu’à ce qu’elle parte ? » nous demanda-t-il.

Nos chiens et les transports en commun

Car ce garçon soulevait aussi un problème que nous connaissions à Rennes et dans la plupart des grandes villes. Les chiens ne sont pas admis dans les transports en commun. une réponse.

Il nous a dit que ça lui était arrivé de prendre le métro avec sa chienne, que les gens « en jaune » (les amistars) l’ont vu une fois mais n’ont rien dit, qu’un jour un autre lui a fait une remarque et un troisième lui a fait un clin d’œil. Parce que oui, les grandes villes veulent des centres piétons, faire disparaître les voitures et les bus du centre. C’est tout à fait louable et plus écologique, mais comment fait-on quand on n’a pas de voiture pour se déplacer avec nos animaux ? Comment font les personnes âgées aussi, qui ont des grands chiens et pas de voiture ?

Car là, monsieur soulevait encore un point intéressant : « C’est de la discrimination parce que les petits chiens, eux, ils ont le droit ». C’est vrai. Nous avons souvent vu les petits chiens dans les sacs prendre le métro et le bus. J’imagine que c’est pour des raisons de potentiel destructeur (voir la vidéo de Tony Silvestre – Esprit Dog : « L’agressivité chez le chien »). Car le petit chien peut être contrôlé en cas de problème ? En tout cas, ce garçon nous dit que lorsqu’il se permet d’emprunter le métro (car les chauffeurs de bus ne l’ont jamais laissé entrer), sa chienne a une muselière « Parce que je comprends qu’elle puisse faire peur ». Nous l’avons trouvé d’une bonne foi extraordinaire car moi-même je n’aurais pas mis de muselière à mon chien dans ces conditions. J’ai pu caresser sa chienne, c’est un amour. Donc, un monsieur qui vit dans la rue utilise le peu d’argent qu’il a pour acheter une muselière pour son chien afin de pouvoir prendre les transports avec sa chienne. Ça nous a fait mal pour lui…

Crédit : r/pics sur Reddit.

Il a continué la conversation sur le constat que Rennes n’aime pas les chiens. Il nous a également dit qu’apparemment, selon un décret, si une personne possède plus de deux chiens, cela est considéré comme une meute et qu’on peut leur retirer leurs chiens. Un jour, alors qu’il jouait avec un ami et ses deux chiens en plus du sien, la police s’est arrêtée pour le leur signaler. « Alors on joue simplement avec trois chiens et c’est considéré comme une meute alors qu’on est juste entre amis. »

Il nous a également raconté comment lui et sa chienne avaient fini à la rue. Car il ne l’a pas adoptée en tant que sans-domicile. Il avait un logement comme vous et nous. Il avait une petite amie. Mais voilà, ils se sont séparés, elle n’a pas pris la chienne. Au départ, lui et Laika, ont dormi dans la voiture. Lui sur la banquette arrière et Laika restait sur le siège passager : « Je l’appelais pour qu’elle vienne dormir avec moi mais elle boudait, elle me montrait presque les dents. Elle avait été jetée de sa maison, sa maman l’avait rejetée, c’était dur pour elle ». Et son ex a repris sa voiture…

Voilà comment ils en sont arrivés là. Depuis, Laïka a pardonné à son humain. Elle « est devenue ultra protectrice par contre. Quand je fais la manche et que quelqu’un s’approche, elle se lève et vient le renifler. » « Mais elle n’est pas agressive ? » « Non, non, pas du tout, elle le renifle juste, mais elle se méfie. » Il confie ce que beaucoup penseront en lisant ce témoignage : « J’aurais dû l’abandonner, la mettre quelque part, mais je peux pas… C’est mon chien. Je l’aime comme ma fille, c’est mon enfant. » Alors certes, aucun de nous deux n’a d’enfants, mais je ne pouvais qu’acquiescer. Nos chiens, on les aime comme ce qu’il y a de plus proche entre l’amour d’un parent pour son enfant (sans dire que c’est la même chose) et on sait qu’ils nous considèrent comme leurs parents. Moi non plus, je n’aurais pas pu abandonner mon chien si j’avais été dans sa situation. « Mais parfois c’est dur, la nuit on a froid souvent. Là, on marche parce qu’il y a trop de vent, il fait trop froid pour rester assis. C’est comme cette nuit, elle s’est glissée dans mon sac de couchage. »

Crédit : Calendrier Quatre pattes pour se relever, Gamelles Pleines, édition 2024.

Notre conversation s’est un peu interrompue quelques instants. Une dame d’un certain âge lui apportait un sérum physiologique et un paquet de mouchoirs. Elle semblait le connaître ou en tout cas avait dû lui avoir parlé plus tôt. Elle a parlé quelques instants avec lui, en le mettant presque en garde « Il fait froid en ce moment, 5° degrés à 6 heures. »

Après qu’elle ait pris congé, nous avons repris notre conversation. « Mais t’as pas d’endroit à Rennes pour dormir en centre ? » lui ai-je demandé. « Non, ils n’acceptent pas les chiens ». Nous étions outrées. Quand on sait que la plupart des sans-abris ont des chiens et qu’ils ne peuvent pas dormir dans un centre s’ils amènent le(s) leur(s)… Donc ou tu laisses ton chien seul dans la rue… ou tu dors dehors avec lui…

« C’est comme pour le travail. À Rennes, je ne peux pas mettre ma chienne quelque part pendant que j’y suis. Pour l’instant, je ne peux rien faire avec elle. » ajoute-t-il.

Mais tout n’est pas noir, en plus de l’amour que lui porte son chien, il est optimiste. Il a rencontré une fille. Mais aussi il part faire les vendanges d’ici deux mois. « Je serai payé et j’aurai un petit logement alors je pourrai laisser ma chienne la journée et je pourrai travailler, ça va me remettre sur les rails. »

Sincèrement, j’étais très heureuse pour lui qu’il parvienne à revenir à une vie « normale ».

Je ne crois pas avoir jamais autant parlé avec un sans-abri. Je ne faisais pas du tout partie pour autant de la team « Quand tu veux, tu peux ; il y a du travail partout, ces gens-là ne veulent pas travailler. ». J’aurais mille et un arguments pour contrer ces remarques et ce garçon et sa chienne en sont un bon exemple.

Dans les jours suivants, j’ai essayé de retrouver Laika et son propriétaire. Pour avoir des nouvelles, peut-être lui offrir un petit repas au chaud et un moment de pause avec Laïka qui pourrait aussi goûter à la chaleur de l’intérieur. J’ai contacté l’association Gamelles pleines qui semble avoir beaucoup de bonnes idées que j’admire. J’attends de leurs nouvelles. En fouillant sur internet, on peut trouver un article de France Bleu qui remonte à mars 2021. Gamelles pleines avait comme projet d’ouvrir un centre de garde d’animaux pour les sans-abris qui ne peuvent bien sûr pas se permettre de payer des gardes. Cela leur permettrait par exemple d’aller dans des refuges la nuit ou de pouvoir travailler la journée, le temps de se remettre sur pieds.

Rennes ville amie des animaux ?

Rennes, ville qui n’accepte pas les chiens dans les transports, qui n’autorise pas à posséder plus de trois chiens (Qui ça d’ailleurs ? On voit mal la police embêter deux hommes non sans-abris promenant à eux deux trois chiens). Rennes n’aime-t-elle vraiment pas les chiens ?

On a cherché ce décret estimant qu’une meute se forme à partir de trois chiens. On ne l’a pas trouvé, mais on croit ce garçon et notamment qu’on ait menacé ses chiens de fourrière.

Ce qui est étrange c’est que pourtant, la maire de Rennes, Nathalie Appéré semble soutenir le projet de Gamelles pleines. D’ailleurs, On ne croit pas qu’à ce jour l’association ait trouvé le terrain de 500 mètres carrés à Rennes qu’elle cherchait. Quant à la ville de Rennes, elle a signé une « charte rennaise sur la condition des animaux » par la délégation « animal dans la ville ». La charte date de 2023 et projette par exemple d’expérimenter les animaux dans les transports. Quand on consulte l’article de Rennes Métropole concernant la charte sur la condition animale, on constate qu’elle est pleine de bonnes idées et de décisions bienveillantes.

La charte binôme chien-humain (pages 14 et 15) est sincèrement très positive… On espère pour très bientôt la pension « Canine et Solidaire ».

Par ailleurs, en ce qui concerne le dispositif GATE (garde animale temporaire exceptionnelle), celui-ci n’est pas indiqué sur le site de Rennes Métropole. Il semble donc qu’il ne soit toujours pas en mesure d’accueillir des maîtres et leur(s) chien(s). Après consultation du guide solidaire français à Rennes, on peut constater qu’à la page réservée aux animaux ce dispositif n’est pas mentionné.

En fouillant dans les méandres d’internet, nous avons trouvé un article relatant en 2012, une opération de police qui avait visé à saisir des chiens appartenant à des sans-abris. À l’époque, le maire était Daniel Delaveau. Cet enlèvement était selon eux « justifié » par l’arrêté du 27 octobre 2004. On suppose que l’arrêté est encore en place aujourd’hui.

Nous attendons des nouvelles de ce monsieur et de sa chienne. En ce moment, il doit être parti pour les vidanges. On espère de tout coeur que tout se passe bien pour eux deux. Nous avons demandé à l’association des nouvelles de ce duo. On espère une réponse prochainement. Nous espérons que ceux qui avaient une perception sévère des sans-abris qui ont des chiens seront davantage compréhensifs. Les chiens sont souvent le dernier repaire, foyer ou contact bienveillant et fidèle pour ces gens qui ont parfois tout perdu.

Consulter la charte Rennaise sur la condition des animaux :

Sources : https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/place-des-chiens-gestion-des-pigeons-que-contient-la-charte-sur-les-animaux-votee-par-rennes-7fdfd36c-f3c3-11ed-9265-70e26b518ec8.

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